25 avril 2015

[Verhaxt !] La fée des larmes

Cette légende a toujours compté parmi mes préférées du folklore alsacien. Je vous la rapporte telle que je l'ai découverte, enfant, dans "légendes d'Alsace" de Lucien Sittler.

Le Hohneck

"Il y a bien des années, un couple de marcaires [terme local désignant les fermiers] près du Hohneck eut une petite fille. C'était, comme on dit, "un enfant de dimanche", auquel les fées apportèrent au baptême de nombreux cadeaux. Ces fées habitaient dans les pentes rocheuses du Hohneck, qui tombent à pic vers le Frankenthal, et, la nuit, elles dansaient sur les vastes prairies du Kastelberg et du Hohneck jusque vers la Schlucht. La fée de la beauté donna à la petite fille son cadeau pour qu'elle fut belle un jour, la fée de la richesse lui promit de la combler de biens. Mais il y avait aussi la fée des larmes. Les parents crurent bien faire en lui interdisant l'entrée de la maison ; ils ne voulaient pas que l'enfant versât des larmes et fût malheureuse. En vain, la fée affirma que les larmes étaient nécessaires et souvent bien douces et qu'elles allégeaient le fardeau de la vie ; les marcaires ne voulurent rien entendre.

La jeune fille grandit et elle devint une demoiselle d'une beauté extraordinaire, comme on n'en avait jamais vue. Mais il lui manquait quelque chose : la douceur du sentiment. Son sourire était froid, jamais elle n'était touchée par quoi que ce fût. Un jour, le seigneur de Guirsberg, qui chassait sur les alpages, aperçut la jeune fille et s'éprit d'elle. Peu de semaines plus tard, le mariage fut célébré, et la fille des marcaires devint une châtelaine riche, admirée et célèbre.

Mais le bonheur ne dura pas longtemps. Le seigneur s'aperçut vite du manque de coeur et de sentiments profonds de sa femme. Bientôt, il commença à la délaisser, passa son temps à la chasse ou dans la compagnie joyeuse d'autres seigneurs. Sa femme se désespérait, mais elle ne pouvait pas pleurer. De même, elle se faisait détester par les serviteurs et les servantes, mais ne savait pas y remédier.

Elle souffrait toujours plus de cette situation dont elle se sentait elle-même responsable. A la fin, elle ne voulut pas vivre plus longtemps dans ces conditions affreuses. Elle courut au Fischboedle, ce beau petit lac au pied des Spitzkoepfe, pour s'y noyer. Mais à peine eut-elle mis le pied sur la berge que la fée des larmes sortit des ondes, et elle raconta à la pauvre jeune femme ce qui s'était passé lors de son baptême.

Le Fischboedle

- Les larmes te manquent, la douceur du cœur, la chaleur du sentiment. Et c'est pour cela que tu as dû tant souffrir. Mais cela suffit. Je t'offre maintenant le don que tes parents ont refusé pour toi, les larmes.

Elle toucha les yeux  de la jeune femme et disparut. La châtelaine rentra au château toute bouleversée et en proie à des sentiments indéfinissables qui lui déchiraient déchiraient le cœur. Et soudain les premières larmes jaillirent de ses yeux, et à son grand émerveillement, elles se transformèrent en perles brillantes. La nuit elle revit en songe la fée des larmes qui lui dit :
- Prends les perles, fais-en un collier et mets-le autour de ton cou. Demain ton mari reviendra au château. Il te verra, et tu l'embrasseras.

En effet, le seigneur de Guirsberg vint le lendemain au château. Lorsqu'il vit sa femme, il fut saisi d'étonnement, car il la trouvait entièrement changée. Sa beauté s'était enrichie d'un charme nouveau et mystérieux  qui l'attirait irrésistiblement. Et à partir de l'heure où la jeune femme avait reçu le don des larmes et en même temps celui de la compassion, de la pitié, de la bonté et de la douceur du cœur, le bonheur habita au château." 

Gérard Leser, folkloriste alsacien, nous conte sa version dialectale (mais sous-titrée en français ;) ) de la légende et nous emmène en balade dans les magnifiques décors où se déroule le récit :


Aucun commentaire: